Clara Baudy est architecte, critique et enseignante. Dans ses différentes pratiques, elle questionne la composition du plan (son projet de thèse porte sur l’esthétique des rythmes dans les typologies de plans), en tâchant de repérer et nommer les tendances massives de l’architecture contemporaine. Dans cet essai, Clara Baudy investigue une tendance qui semble avoir émergé de son fil Instagram.
"Commençons par l’hypothèse : une esthétique architecturale émerge en Europe dans les années 2010. Elle n’est pas un mouvement revendiqué ; elle apparaît de manière diffuse dans des projets, de maisons surtout. Ses coordonnées singulières me semblent constituer un paradigme esthétique — fictif, par définition, puisqu’aucune maison réelle ne saurait en posséder tous les traits — celui de l’Antespace."

Cette enquête de terrain, extraite du mémoire de Lou Cavallo, étudiante en architecture, démarre comme une ethnographie villageoise frôlant le romantisme, au plus proche de la communauté des Lébous, installée sur la presqu’île du Cap-Vert, puis elle progresse vers une composition des échelles qui donne le vertige quant aux causes et aux effets du réchauffement climatique. C’est par-dessus tout le portrait de l’érosion des terres lébou qui interpelle. De manière générale, un trait de côte n’est jamais fixe, mais la logique de la propriété privée — la valorisation marchande des parcelles côtières — a donné à notre perception de l’érosion un caractère plus dramatique et définitif. Ce phénomène gagne ici une acuité différente. L’érosion est extraite du « sublime environnemental » qui l’associe à une dynamique supra-humaine et inéluctable, pour rendre sensible ce qu’elle doit à la fois à des stratégies industrielles extractiviste, mais aussi des tactiques quotidiennes de survie.

Constantinos Marcou est un architecte chypriote, doctorant au sein du laboratoire « Théorie et projet de l’espace domestique » dirigé par l’architecte et historien Pier Vittorio Aureli. Dans la lignée des travaux de celui-ci, Marcou s’intéresse à la manière dont l’architecture peut être un outil de lecture des changements socio-politiques d’une époque.
Dans cet article, Constantinos Marcou s’intéresse aux hôtels meublés, immeubles de rapport et autres pensions de famille, dont l’émergence au XIXe siècle aurait permis une "perspective queer", soit une critique queer de l’espace qui s’inscrit dans l’héritage du célèbre architecte opéraïste Manfredo Tafuri, qui affirmait qu’ « il n’existe pas d’architecture de classe, seulement une critique de classe de l’architecture. » Marcou explore donc les pratiques queer d’appropriation de l’espace, à la fois ordinaires et résistantes, au-delà des intentions des architectes et promoteurs immobiliers.

Depuis les années 1980, la géographie queer s’attache à analyser les usages et les trajectoires spatiales des populations queer, en se focalisant particulièrement sur la ville comme espace propice à des expérimentations sociales, sexuelles et politiques LGBTQIA+ plus libres, grâce à l’anonymité des individus comme des espaces communautaires, mais également grâce à la visibilité et l’effervescence des luttes politiques qu’elle procure. Or, un nombre de plus en plus grand de recherches s’intéresse aux vécus queer en dehors des villes et au phénomène de « métronormativité » qui sous-entendrait que la ruralité serait un espace d’oppression homophobe, en miroir de l’urbanité comme espace d’émancipation politique et sexuelle.
Dans cet article important de 2007, Scott Herring, professeur d’études américaines et d’études de genre et sexualités à Yale, prend alors le contre-pied de ce regard métronormatif, en revendiquant l’idée d’un « anti-urbanisme critique », ou d’un « anti-urbanisme queer ». À rebours d’une idée selon laquelle l’anti-urbanisme serait une dynamique homo-normative qui consisterait en une assimilation des gays et lesbiennes à un mode de vie hétéronormatif — qui sortiraient des « ghettos » des quartiers gay des centres urbains pour se « ranger » dans les quartiers suburbains et les petites villes — Herring le voit comme une potentialité critique du binarisme rural/urbain et forge le concept de « rusticité critique ».

« Le nuage informatique [cloud] ne flotte pas au-dessus du sol, il émane de ses profondeurs ». Par cette déclaration extraite du film accompagnant le projet Computational Compost, l’architecte et chercheuse Marina Otero Verzier nous rappelle les origines et effets matériels de notre gourmandise croissante pour la production et l’échange de données immatérielles. Loin d’être invisibles, ces données détériorent les sols, assèchent les vallées, polluent les ciels, fragilisent les communautés locales, comme au Chili, l’un des terrains d’enquête de Marina Otero Verzier. Ce texte réfléchit aux interrelations entre la lithosphère, la couche solide supérieure de la Terre, et la technosphère, décrite en préambule du numéro 60 de la revue Log dont est extrait cet article comme « l’ensemble des technologies déployées à grande échelle qui sous-tendent et permettent une exploitation des ressources de la planète » ou encore comme « la prothèse collective qui étend nos capacités en ce monde et qui, en ce sens, est partie intégrante de nos formes matérielles de vie ». Marina Otero Verzier y forge un concept aussi étonnant que stimulant : le deuil de nos données.